Les gammes modales
Une approche par Louis Jeannequin
On pourrait appeler gammes modales les gammes utilisées dans toutes les musiques du monde. Elles ont chacune leurs caractéristiques qui les font bien souvent reconnaître, à l’écoute, selon leur origine. On reconnaîtra ainsi, grossièrement, la musique chinoise, la musique arabe, la musique espagnole, la musique bretonne… Et il est évident que chaque culture a développé plusieurs gammes, et souvent de nombreuses gammes, pour pouvoir exprimer une grande diversité d’émotions.
Presque toutes les gammes du monde se réfèrent à la notion d’octave pour encadrer une gamme. Mais chaque gamme se distingue par le nombre de ses degrés et des intervalles qui les séparent. C’est ce qui donne à chacune sa couleur caractéristique. La musique occidentale, au cours de son évolution, a arrêté le nombre d’intervalles à douze à l’intérieur de l’octave, et a défini cinq, puis six, puis sept degrés. C’est un choix culturel, même s’il existe des justifications par la physique acoustique, notamment avec la découverte des harmoniques. Plusieurs conceptualisations ont été faites au cours de l’histoire de l’humanité. Nous ne les aborderons pas ici.
La musique occidentale a subi de nombreuses influences, et il serait plus exact de parler des musiques occidentales. Mais celles qui nous sont les plus communes sont, en grande partie, issues des influences de critères définis par l’Eglise au Moyen Age. C’est en effet elle qui a fait la jonction entre les gammes grecques et les pratiques populaires locales. Sans doute même l’exacte connaissance des gammes grecques est-elle sujette à caution, mais c’est quand même leur transcription qui nous sert de référence aujourd’hui. Ensuite, la constitution, au XVIIe siècle, du tempérament, c’est-à-dire la conception d’une gamme de douze intervalles (demi-tons) de même valeur, a modifié notre écoute, au détriment de la richesse modale des gammes originelles. Mais c’est aussi ce qui a permis le développement de la tonalité et de la richesse harmonique au profit de créations magistrales. Les modes grecs dont se sont appropriés les clercs de l’Eglise médiévale, puis de la Renaissance, sont dits « modes ecclésiastiques ».
La tonalité s’est développée à partir d’un de ces modes appelé mode « ionien ». C’est la gamme majeure classique que nous connaissons, avec les gammes mineures qui lui sont relatives (gamme mineure harmonique, mineure mélodique…). Elle se caractérise par les rapports fonctionnels qu’ont certaines notes entre elles, et en conséquence les accords définis par ces notes. C’est ce qui permet l’harmonisation classique que l’on connait. Les autres modes, issus de la monodie modale, avec notamment l’importance de la présence de la tonique, ne développent pas des relations fonctionnelles entre les notes (avec des mouvements obligés), et permettent, de ce fait, une grande liberté pour l’improvisation.
Les noms donnés aux modes ecclésiastiques ont subis, dans l’histoire, des variations et donné lieu à des confusions. Ceux utilisés ci-dessous ont été arrêtés selon un consensus contemporain. Le mode ionien nous servira de référence pour la comparaison des modes. Nous verrons très sommairement quelques autres gammes (pentatoniques, blues…).
Une partie de l’exposé est consacré à une analyse des modes pour mieux en comprendre la constitution, et donc en faciliter la mémorisation. La mise en pratique des gammes, l’utilisation des notes caractéristiques, les modulations… ne font pas partie de cet exposé.